Chapitre 5: LA LIBERTE - Philosophie Terminale D | DigiClass
User Picture
Vous

LA LIBERTE

I.  INTRODUCTION

Le concept de "liberté" dérive du latin "liber" qui veut dire "homme qui n'obéit qu a lui-même" par opposition à "servus" qui signifie "esclave". Au sens courant, la Iberte est le pouvoir de faire ce que l'on veut en toute indépendance. Elle désigne l'état de celui qui fait ce qui lui plaît, qui accomplit ses désirs en dehors de toute contrainte. Agir librement, c'est donc agir volontairement. En cela, la liberté s'oppose à la servitude ou à l'aliénation.
S'il est vrai que la liberté a une valeur fondamentale pour l'homme, il y a cependant une difficulté à dire ce qu'elle désigne précisément. Dans quelle mesure peut-on parler de liberté chez l'homme ? Celle-ci n'est-elle pas une simple illusion, au regard des multiples contraintes auxquelles nous sommes soumis ? La véritable liberté n'exige-t-elle pas une exploitation judicieuse des déterminismes ?

II.  QUELQUES CONCEPTIONS DE LA LIBERTE

A.  La liberté comme acceptation de la nécessité : le stoïcisme

Nous n'avons pas choisi de naître, ni de naître tel que nous sommes nés : homme ou femme, à telle époque, dans telle nation, candidat à la mort, ...
La sagesse concisterait donc à renoncer à tout orgueil et sse laisser porter par les courants. Comme le dit Baruch SPINOZA (1632-1677). Nous sommes agités de bien de façons par des causes extérieures et pareils aux flots de la mer, agités par des vents contraires, nous flottons inconscients de notre sort et de notre destin » in Ethique, III.
Pour les stoiciens, le monde ou cosmos est un tout organisé, un organisme ou un grand vivant. Et l'homme en est un organe. Etre libre consiste a faire appel à sa raison pour se reconnaitre comme tel et accepter le mouvement d'ensemble. Est libre celui se comporte de façon rationnelle. La liberté n'est donc pas la folie ni le caprice. Ainsi EPICTETE (vers 55-135) disait-il :. Ne demande pas que les choses qui arrivent arrivent comme tu veux, mais veuille les choses qui arrivent comme elles arrivent et tu vivras une vie heureuse .

B.  Le libre arbitre

Nous pensons en général qu'être libre, c'est avoir le choix entre plusieurs actions possibles et que ce que nous faisons actuellement, en vertu d'un libre choix, aurait pu
être différent. Lorsqu'on nous demande par exemple ce que nous avons fait hier, nous pouvons dire ou ne pas dire la vérité, C'est ce qu'on appelle le "libre arbitre" qui est la
capacité de se déterminer à agir sous la seule conduite de la volonté. Il est ce pouvoir absolu en nous de décider å partir de rien, c'est-à-dire sans motif contraignant.
L'exemple-type du libre arbitre est l'acte gratuit qui serait l'action motivée par rien, c'est-à-dire désintéressée, donc sans but. L'homme libre, dans ces conditions, aurait le pouvoir d'accomplir n'importe quelle action, même un acte tout à fait absurde. Dans Les caves du Vatican, le romancier français AndréÄ— GIDE (1869-1951) fait accomplir à l'un de ses personnages un acte gratuit: Lafcadio, même sans connaitre le vieux Fleurissoire, pousse ce dernier dans le vide lors du voyage en train. Il s'agit là d'un acte accompli sans fondement, sinon par suite d'un pur caprice.

Ainsi compris, le libre arbitre nous rend entièrement responsable. Il est la capacité d'être la cause première ou absolue de nos actes. On le retrouve dans la liberté d'indiffèrence chez René DESCARTES (1596-1650). En effet, ce philosophe pense que nous faisons dans notre conscience l'expérience d'un libre arbitre infini qui est comparable à celui de Dieu. Nous avons toujours la possibilité soit d'adhérer à une vérité soit de la nier en détournant notre attention ou même de suspendre notre jugement. La liberté d'indifférence constitue, selon DESCARTES, perfection de l'homme , car elle le rend maitre de ses actions. C'est parce que l'homme a un libre arbitre qu'il est digne de louange et de bläme , précise-t-il.

C.  La liberté civile

Théoriquement, l'absence de lois dans une sociêté assure la liberté des individus car chacun pourrait faire ce qu'il veut. Cela conduirait cependant à l'écrasement du
faible par le fort. Dans la mesure oủ la liberté se réalise toujours dans le cadre d'une vie communautaire, elle suppose des obligations. Ce n'est donc pas le fait de donner libre cours à ses pulsions qui procure la liberté. Comme le dit Rousseau: L'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté », La
liberté n'est donc possible qu'au sein d'une société encadrée par des lois empêchant ainsi que l'homme soit un loup pour son semblable.

De nos jours, on évoque la liberté de réunion, la liberté d'opinion, la liberté d'association, la liberté d'échange, etc. Celles-ci supposent une certaine marge d'indépendance par rapport à l'autorité gouvernementale. Bref, la liberté ne doit vue comme une transgression des lois, mais plutôt leur respect. Comme le dit MONTESQUIEU (1689-1755) dans De l'esprit des lois : La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent : et si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, # n'aurait plus de liberté, parce que les autres auratent tout de même ce pouvoir

En clair, la liberté n'est donc pas du libertinage, mais la soumission à des contraintes sociales qui sont entre autres le respect du semblable, la contormte normes socianes, le respect des institutions établies, etc. Si les contraintes ou influences extéricures semblent limiter notre liberté, elles en constituent cependant la condition et la garantie. A ce sujet, Emmanuel KANT (1724-1804) fait remarquer qu'une colombe pourrait s'imaginer qu'elle volerait mieux en supprimant la pression atmosphérique. II s'agit la a une grave illusion car ce qui la ralentit est aussi ce qui la porte et entretient son vol. LA liberté suppose toujours une certaine forme de soumission. Cela met en Jumière le caractère illusoire de la liberté.

III.  L'ILLUSION DE LA LIBERTE

A.  Critique de la liberté stoictenne

La sagesse stoÄ«cienne recommande l'acceptation de la nécessité pour être libre. Mais, etre libre à la stoicienne n'est-il pas un esclavage volontaire ? La liberté stoicienne s'apparente à une résignation. Ne pouvant avoir ce qu'on désire, on désire ce qu'on a. Ne pouvant changer l'ordre du monde, on change ses désirs. C'est une liberté intellectualiste, passive et conservatiste. C'est pourquoi remarque Friedrich NIETZSCHE (1844-1900) : . Le stoicien s'exerce à avaler cailloux et verres, tessons, scorpions, à
ignorer le dégoût; il faut que son estomac finisse par être indifférent à tout ce que le hasard de l'existence peut y verser .

Aussi, une telle attitude de la résignation n'est plus suffisante de nos jours. Elle découragerait à la limite toute action concrète. A quoi bon tenter une entreprise si le
résultat, quel qu'il soit, doit Ä“tre accepté comme inévitable ? Certaines personnes préféreront mÄ“me se résigner d'avance : c'est la résignation présomptive. C'est l'exemple
du candidat qui, par crainte de l'échec, ne se présente pas à l'examen ou du commerçant qui se suicide avant la faillite. Ainsi, GRIBOUILLE devance la pluie qui pourrait le mouiller, en se jetant dans la rivière. Courir au devant de la fatalité n'est pas de la liberté.

B.  Les limttes du libre arbitre

La notion de libre-arbitre apparait peu cohérente car pouvoir tout faire serait æuvrer dans l'anarchie totale. Si tout est permis, rien n'est done permis. Ne dit-on pas que trop de liberté tue la liberté ? Comme le mentionne Vladimir JANKELEVITCH (1903-1985), « Une liberté infinie se nie elle-même car étant aussi bien libertÄ— de se vendre et redevenir esclave, Du reste, René DESCARTES lui-méme reconnaitra les limites de la liberté d'indifférence puisqu'il avouera que c'est le plus bas degré de la liberté ., Elle n'est pas fondée en raison. En somme, le libre arbitre est illusoire. A ce propos, Baruch SPINOZA (1932-1677) affirmait que l'homme n'est pas dans l'univers comme « un empire dans un empire. Cela signifie qu'il n'est pas imperméable aux causes extérieures. Il est au contraire conditionné par de multiples déterminismes dont il ne peut entièrement s'extraire. C'est l'ignorance de ces déterminismes qui entretient en lui l'illusion de la liberté.

C.  Le déterminisme du sujet volontaire

Aussi appelÄ— principe de causalité, le déterminisme est la thése qui affirme qu'il n'y a pas d'événement sans cause et que, dans les mémes conditions, les mêmes causes
produisent les mÄ—mes effets. Si le monde dans sa totalité obéit vraiment au principe du déterminisme, il y aura toujours une cause de ce que nous faisons; cette cause  elle-même aura une cause, qui elle aussi aura une cause, et ainsi de suite. L'idée de liberté parait donc illusoire lorsque nous savons que nous sommes déterminés par un
ensemble de phénomènes.

1.  Le déterminisme biologique

Chaque individu possède un patrimoine génétique héréditaire qui est responsable de ses caractêristiques physiques (la taille, la forme, ...). Il existe sans doute une interaction entre l'esprit et le corps. Même si on refuse de ramener la pensée à un processus physico-chimique, il est clair que la pensée est en lien avec le corps. En effet. la santé ou la maladie retentit sur la vie de l'esprit et influence énormément nos choix Nous pouvons par exemple refuser d'aller à une soirée dansante au profit d'un film à la télévision parce qu'on est convalescent.

2.  Le détermintsme soctologique et culturel

Si on croit au dêterminisme, on doit alors conclure qu'il est impossible que l'on puisse faire autre chose que ce que l'on fait. En effet, l'éducation reçue par une personne, ses habitudes culturelles et les circonstances sociales auxquelles elle est. confrontée se combinent pour rendre ses actions nécessaires. En outre, les comportements humains seraient largement dictÄ—s par des processus socio- économiques. Comme le dit Karl MARX (1818-1883) : Ce n'est pas notre conscience qui détermine notre être, c'est inversement notre être social qui détermine notre conscience.

3.  Le détermintsme de l'inconscient

La théorie de la psychanalyse, élaborée par Sigmund FREUD (1856-1939) a montré que le sujet conscient (celui qui affirme sa liberté) est profondément déterminÄ— par les mécanismes de l'inconscient. L'avènement de l'inconscient nous apprend que nos actions sont liées à ce que nous avons subi durant notre enfance. Par conséquent, nous ne sommes pas les maitres absolus de nous-mêmes et de nos actions. L'inconscient semble done un obstacle à la liberté et fait de celle-ci une véritable illusion. C'est ce qui a conduit Baruch SPINOZA (1632-1677) à dire que les hommes se croient libres car ils sont conscients des actes qu'ils posent, mais ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminÄ—s.

D.  Le fatalisme

Le fatalisme est aussi appelé nécessitarisme. Il dérive de "fatum" qui signifie le destin (ce qui a été dit ou écrit). Selon le fatalisme, tout ce qui arrive devait nécessairement arriver, en vertu de l'action inèvitable du destin. A la différence du déterminisme qui affirme que les événements sont liés entre eux et que tout phénomène a une cause, le fatalisme croit que l'on peut avoir le phénomène sans la cause car l'avenir est déterminÄ— d'avance. C'est pourquoi, malgré ses efforts, CEdipe tuera son père et épousera sa mère. Ainsi, l'idée de fatalisme rend impossible la liberté de l'homme.

IV.  LA LIBERTE COMME UN AFFRANCHISSEMENT

A.  La compréhenston de la nécessité

La nécessité et le fatalisme constituent une entrave à la liberté de l'homme. Faut￾il alors le voir comme un esclave7 Nous dirons que non car il doit exploiter cete apparente servitude pour se liberer ? Pour cela, il n'a pas besoin d'un miracle, Il n'a pas besoin que les forces de la nature cessent de s'exercer. Il lui suffit d'utiliser habilement les lois de la nature pour transformer les obstacles en moyens par des techniques efficaces. Dans l'un de ses Propos, ALAIN (1868-1951) nous invite à méditer sur l'exemple admirable du navire a volle. Les vents sont contraires et pourtant, par une habile manoœuvre, le voilier avance, Le marin n’a pas eu besoin de modifier le cours des vents. Il a utilisé intelligemment les lois naturelles, orientant sa voile, appuyant sur le gouvernail, il avance "contre le vent par la force même du vent". Il n'y a donc pas d'incompatibilité entre la liberté et la nécessité. Autrement-dit, la nécessité bien comprise est signe de liberté.

B.  Liberté et lois

De son étymologie lex (loi ou droit écrit), la loi est un terme générique pour désigner une règle ou une norme qui émane d'une autorité souveraine et qui s'impose à tous les membres d'une société. Elle est l'expression de la volonté du peuple. En tant que membre du peuple souverain, nous devons voir la loi comme l'expression de notre propre volonté. De prime abord, la loi semble s'opposer à la liberté. Cependant, c'est elle qui nous protège contre les empiètements d'autrui. Sans loi, nous vivrions en effet dans un état de crainte permanente. La loi est donc une contrainte libératrice. Selon Rousseau, la liberté ne peut se passer de règles.

V.  CONCLUSION

Cette réflexion nous a permis de saisir quelques facettes de la liberté. Généralement définie comme l'absence de contraintes, elle est diversement perçue. Pour les stoïciens, elle réside dans l'acceptation de la nécessité. D'autres au contraire l'identifient au libre arbitre : c'est le cas de DESCARTES. Ces différentes conceptions de la liberté, même si elles sont logiques, présentent cependant quelques insuffisances car l'acceptation de la nécessité est de la résignation et le libre arbitre est illusoire. Au sein de la société, la liberté ne consiste pas à agir à sa guise, mais à se soumettre à la loi. Tout cela laisse penser que la liberté s'apparente à une simple illusion. Cette conviction est encore renforcée par les contraintes et les déterminismes qui pèsent au quotidien sur l'homme.

Tout compte fait, l'existence humaine ne saurait se réduire à l'esclavage. La liberté est une réalité et consiste à comprendre la nécessité en exploitant les déterminismes grâce à notre raison. Etre libre revient à accomplir des actes purement réfléchis. Choisir librement, c'est donc choisir à la fois son action et les résultats prévisibles de son action. Dès lors, agissons de façon à ne jamais dire : Si je savais ... ».

$\textbf{QUELQUES CITATIONS}$

  • Conduis-moi où tu veux, Ó Zeus ! Je te suivrai sans hésiter ». $\textbf{Epictète}$
  • Homme, tu possèdes par nature une volonté qui ne connait ni obstacle ni contrainte. $\textbf{Épictète}$
  • La liberté ne peut être limitée qu'au nom de la liberté », $\textbf{John Rawls}$
  • Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme, $\textbf{Rousseau}$
  • Jamais nous n'avons été aussi libres que sous l'occupation allemande. $\textbf{Jean-Paul Sartre}$
  • Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l'obéissance il assure l'ordre, par la résistance il assure la liberté. $\textbf{Alain}$
  • Là où il y a pas de loi, il n'y a pas non plus de liberté. Car la liberté consiste à étre exempt de géne et de violence de la part d'autrui, ce qui ne saurait se trouver où il n'y a point de loi. $\textbf{John Lock}$
  • La liberté dit à la loi, dont l'aeil sans cesse la regarde : "tu me gênes, retire-toi. Je ne te gêne pas, dit la loi, je te garde". $\textbf{Grenus}$

$\textbf{QUELQUES SUJETS DE REFLEXION}$

  1. Le progrès scientifique implique-t-il plus de libertÄ— ?
  2. On pourrait calculer la conduite future d'un homme avec autant de certitude qu'une éclipse de tune ou de soleil et cependant soutenir en même temps que l'homme est libre, Ce propos d'Emmanuel KANT vous convainc-t-il ?
  3. Peut-on être libre comme le vent ?
  4. Obéir, est-ce renoncer à sa liberté ?
  5. L'idée de liberté est-elle compatible avec l'idée de loi ?
  6. La liberté est-elle un cadeau ou un fardeau ?
  7. Nait-on libre ou le devient-on ?
  8. Dégager l'intérêt philosophique du texte suivant à partir de son étude ordonnée :

Nous sommes libres quand nos actes êmanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'euvre et l'artiste. En vain on allèguera que nous cédons alors à l'influence toute pussante de notre caractère. Notre caractère, c'est encore nous ; et parce qu'on s'est plu à scinder la personne en deux parties pour considérer tour à tour, par un effort d'abstraction, le moi qui sent ou pense et le moi qui agit, il y aurait quelque puérilité à conclure que l'un des deux moi pèse sur l'autre. Le même reproche s'adressera à ceux qui demandent si nous sommes libres de modifier notre caractère. Certes,
notre caractêre se modifie insensiblement tous les jours, et notre liberté en souffrirait, si ces acquissions nouvelles venaient se greffer sur notre moi et non pas se fondre en lui. Mais dès que cette fusion aura lieu, on devra dire que le changement survenu dans notre caractère est bien nôtre et que nous nous le sommes approprie. En un mot, si l'on convient d'appeler libre tout acte qui émane du moi, et du moi seulement l'acte qui porte la marque de notre personne est véritablement libre, car notre moi seul en revendiquera la paternité.

Henri BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, 1967.